A propos
Tu te souviens de ton visage quand tu n’allais plus être enfant ? a été réalisé en 24h, les 12 et 13 octobre 2015 à Montréal, en compagnie de Vincent Giard, Sébastien Trahan et Julie Delporte, face à 3 images : l’une d’un adolescent, l’autre d’un réseau électrique, la troisième d’un paysage gravé. L’ensemble est structuré en 3 parties : se souvenir du moment de transition entre l’enfance et l’adolescence, se rencontrer à 15 ans, conserver cette rencontre comme un talisman. Etrangement, les phrases qui ont émergé des 24h sont Tu n’avais pas à être une autre personne que celle que tu étais, Tu n’as pas à être une autre personne que celle que tu es, Tu n’auras pas à être une autre personne que celle que tu seras.
Texte complet
Un - tu te souviens de ton visage, quand tu n’allais plus être enfant ?
je regarde une image en pensant à toi
je regarde ces détails
tu te souviens de ton visage, quand tu n’allais plus être enfant ?
tu te souviens ?
Deux - Tu n’avais pas à être une autre personne que celle que tu étais
Un blouson. Mon corps est dedans. Un peu moins grand et plus étroit. J’avais seize ans. Pas parfait. Mes membres étaient des bois mêlés et ma chair une mousse. Ma chair et mes bois étaient des feuillus qui hésitaient. Ce n’est pas vrai. Ce n’étaient pas des mots. C’était plus réel.
J’aurais aimé te voir à cet âge. J’aurais vu tes mains.
Tes chaussures.
Tes cheveux.
Ta peau.
Si tu te décris, je pourrai te visualiser. Souviens-toi. Tu n’as pas à dire que tu étais une autre personne que celle que tu étais. Tu avais le droit d’être comme tu étais.
Seize ans. Tu peux prendre le temps de te souvenir.
Tu te souviens de tes chaussures ? Du trajet que tu faisais ?
Est-ce que tu revois ce trajet ?
Je te rencontre là. Moi non plus je n’habitais pas le centre du monde. Moi aussi je me demandais pourquoi ici, et pas ailleurs.
Tu remarques mon blouson. Il a l’air de sortir des années cinquante. Ses manches rembourrées, son torse tricoté. Sur son dos, des lettres faites de laine qui rebondit. Toi aussi tu les toucheras, ça te fera rire.
Je te raconterai que j’ai pris le blouson de mon frère mais d’abord, je t’observe. Tu me vois arriver. Je vois ton corps. Seize ans. Pas parfait. Je vois ces gestes que tu avais, dans les vêtements que tu avais. J’ai mes chaussures un peu trop grandes et ma démarche un peu flottante. Mes chaussures ont deux couleurs. Cette attitude du premier regard. On s’est vus.
Maintenant ton passé est aussi dans tes gestes. Pointillé. Poreux. Assimilé. La manière que tu avais de marcher tu l’as encore un peu. Maintenant je n’ai plus seize ans et tu n’as plus seize ans. Maintenant c’est un passé et c’est une image. Elle est aussi présente dans mon cerveau. Se souvenir, on ne sait pas si c’est comme des circuits imprimés. Maintenant on s’est rencontrés. Tu n’as pas à être une autre personne que celle que tu es.
Trois - tu n’as pas à être une autre personne que celle que tu es
et puisqu’on s’est vus
puisqu’on est deux poreux, pas parfaits
si on disait que maintenant
maintenant ce papier
ce papier
est
un talisman
Un, deux, trois - tu n’auras pas à être une autre personne que celle que tu seras