kit pour lutter pour la joie (hommage au promeneur)
performance, 2012

Un hommage à Robert Walser

Kit pour lutter pour la joie (hommage au promeneur) est un rituel conçu pour être partagé dans une forêt, en hommage au texte La promenade de l’écrivain Robert Walser.

(lire l’extrait ayant servi de point de départ du rituel)

« Il est vrai que, par périodes, j’ai erré dans le brouillard et dans mille embarras, en devant constater que je vacillais et que j’étais plus d’une fois pitoyablement abandonné. Pourtant, je pense que la lutte seule est belle. Ce n’est pas de joies et de plaisirs qu’un honnête homme peut être fier. Au contraire, dans le fond de son âme, seules les épreuves vaillamment surmontées et les privations patiemment supportées peuvent le rendre fier et joyeux. Mais on n’aime guère parler de ces choses-là. »
(Robert Walser, La promenade)

Les objets du rituel

En accord avec l’admiration qu’avait Robert Walser pour la petitesse des choses trouvées, les objets ont principalement été achetés en une demi-heure, dans un magasin de seconde main :

La table

Dans le cadre d’une forêt, deux tréteaux et un plan de table ont été récupérés. Des pancartes constituées de planches à pain sont accrochées pour attirer les passants. Un tabouret est posé de part et d’autre de la table. Sur la table, un présentoir propose une expérimentation :

1. La question

Le narrateur de La promenade affirme que ce qui rend joyeux, c’est d’avoir été « pitoyablement abandonné », puis d’avoir surmonté cette épreuve. Cette question est proposée au participant.

2. La méthode du crayon

Le participant ne révèle pas sa réponse. Il lui est plutôt proposé de l’écrire dans un cercle d’un demi-centimètre de diamètre. La consigne rend hommage à la « méthode du crayon » de Walser qui, au début des années 1920, inventa une écriture minuscule et un système d’abréviation personnel pour réduire la taille d’une page à la taille d’un timbre de poste.

3. L’oeillet dans le saké

Le cercle d’un centimètre de diamètre dans lequel le participant a inscrit son épreuve vaillamment surmontée est découpé à l’aide d’une perforatrice. Récupéré, il est déposé dans un petit bol. Du saké est versé par-dessus. Le bol de saké est proposé au participant, qui avale au passage son oeillet de papier pour le digérer.

4. La lettre

En guise de remerciement, une lettre extraite de La promenade est offerte au participant. Elle rappelle aux « durs, grossiers, insolents ou violents » qu’ils sont « foncièrement faibles ». Dans le cadre de la lutte pour la joie, le participant pourra l’envoyer à qui de droit. Il lui suffira de signer en bas de la page et d’ajouter un destinataire à l’enveloppe.

(lire l’intégralité de la lettre extraite de La promenade)

"En m’adressant à vous en ces termes insolites, je pense vous donner la certitude que l’expéditeur de ces lignes n’éprouve à votre égard qu’une parfaite froideur. Je sais que vous et vos semblables n’ont à attendre de moi nul respect, et ce parce que vous et vos semblables ont d’eux-mêmes une trop haute opinion pour avoir, pour les choses et les gens, un vrai regard ni le moindre égard. Je sais de façon certaine que vous êtes de ces gens qui se croient grands parce qu’ils n’ont ni égards ni courtoisie, qui s’imaginent puissants parce qu’ils jouissent de protections, et qui pensent être sages parce que ce petit mot de « sage » leur vient de temps à autre à l’esprit. Les gens comme vous, face à la pauvreté et au dénuement, ont l’audace d’être durs, grossiers, insolents ou violents. Les gens comme vous ont l’extraordinaire roublardise de penser qu’il est nécessaire d’être partout en tête, d’avoir en tous lieux la prépondérance et de triompher à toute heure du jour. Les gens comme vous ne s’avisent pas que cela est inepte, et que cela ne saurait être ni du domaine du possible, ni souhaitable. Les gens comme vous sont des crâneurs, prêts sans cesse à pratiquer avec zèle la brutalité. Les gens comme vous ont infiniment de courage pour éviter soigneusement tout courage véritable, parce qu’ils savent que tout courage véritable promet de leur porter tort ; de surcroît ils ont du courage pour manifester constamment un désir extrême et un zèle exceptionnel, s’agissant de se faire passer pour les plus beaux et les meilleurs. Les gens comme vous ne respectent ni l’âge, ni le mérite, ni certainement le travail. Les gens comme vous respectent l’argent, et ce genre de respect les empêche d’estimer rien d’autre. Qui travaille honnêtement et se donne sincèrement du mal, aux yeux de gens comme vous c’est carrément un âne. Là-dessus, je ne me trompe pas ; car c’est mon petit doigt qui me dit que j’ai raison. Je suis obligé d’oser vous dire en face que vous abusez de vos fonctions, parce que vous savez fort bien quels désagréments et quelle situation pénible cela entraînerait de vous taper sur les doigts. Dans la faveur et la grâce où vous vous trouvez, entourés de conditions bénéfiques, vous êtes pourtant extrêmement attaqués et vous sentez sans aucun doute à quel point vous vacillez.
Vous trompez la confiance, ne tenez pas paroles, lésez sans hésiter la considération et la valeur de ceux qui vous fréquentent, vous exploitez sans réserve quand vous prétendez apporter des bienfaits, vous trahissez le service et calomniez le serviteur, vous êtes versatiles et nullement fiables, et vous manifestez des traits de caractère qu’on excuse bien vite chez une jeune fille, mais pas chez un homme.
Pardonnez-moi si je me permets de considérer que vous êtes foncièrement faible, et, avec l’assurance sincère qu’à l’avenir je jugerai opportun d’entretenir avec vous les relations les moins étroites possibles, veuillez agréer la quantité malgré tout exigible et le degré absolument fixé de respect de la part de quelqu’un qui connut la faveur insigne et eut le plaisir à vrai dire modéré de faire votre connaissance." (Robert Walser, La promenade)

5. La trace

Le participant est invité à garder l’explicatif du rituel. De l’oeillet qu’il a noirci puis avalé, témoigne un cercle troué.

Kit pour lutter pour la joie (hommage au promeneur) a été réalisé les 2 et 3 juin 2012 dans le cadre du festival Boslawaai #2 proposé par Antoine Boute. Entre 18 et 23 heures, une soixantaine de personnes ont accepté d’y participer.